Les pénuries de médicaments sont aujourd’hui un problème chronique et grandissant dans les pharmacies françaises. Ce phénomène touche certes de nombreux pays, mais il s’amplifie considérablement ces dernières années en France. Affectant en conséquence des milliers de patients et de professionnels de santé. Face à cette situation alarmante, les autorités doivent mettre en place des stratégies pour gérer ces pénuries récurrentes.
Pénuries de médicaments, une crise silencieuse
La situation des médicaments mérite bien le terme de crise. Tant pour son ampleur que pour sa durée.
Une situation inquiétante
Les ruptures de stock de médicaments ont connu une augmentation spectaculaire ces dernières années. En effet, elles passent de 530 signalements en 2017 à près de 5 000 en 2023. Cette hausse de 128% par rapport à 2021 touche une large gamme de traitements, même si certains sont plus souvent manquants que d’autres.
Des médicaments plus touchés que d’autres
Parmi les médicaments fréquemment en pénurie, on trouve les :
- Antibiotiques (par exemple, l’amoxicilline ou Augmentin ©)
- Analgésiques (par exemple, le paracétamol ou Doliprane ©)
- Traitements pour maladies chroniques (par exemple, le salbutamol, plus connu sous le nom de Ventoline ©)
Ces ruptures obligent alors les pharmaciens à proposer des alternatives. Dans le meilleur des cas, il peut s’agir de distribuer la molécule à partir d’un autre laboratoire. Ou bien de la distribuer sous une autre forme (comprimé standard, comprimé orodispersible…). Mais parfois, les pharmaciens n’ont d’autre choix que de proposer une autre molécule (quand elle existe). Avec tous les défauts que cela comporte (différence de traitements, vérification auprès du médecin prescripteur que la modification peut être effectuée).
Des pénuries de médicaments aux causes multiples
Plusieurs facteurs expliquent les pénuries de médicaments. Certains sont internationaux, mais d’autres sont franco-français.
Une production mondialisée et vulnérable
La concentration de la production de principes actifs dans quelques pays est, de toute évidence, la première cause de la pénurie. En effet, toute perturbation locale peut perturber une chaîne d’approvisionnement particulièrement sensible. Principalement implantée en Asie, la production des principes actifs est aussi soumise à des problèmes de qualité.
Des difficultés d’approvisionnement en matières premières
Les pénuries résultent aussi de ruptures dans l’approvisionnement en matières premières pharmaceutiques. En cause ? Des problèmes de qualité, des retards de livraison ou bien l’augmentation soudaine de la demande mondiale.
La faible rentabilité de certains médicaments
Certains médicaments, généralement les plus anciens et moins coûteux, ne sont plus suffisamment rentables pour les laboratoires. Par conséquent, ceux-ci délaissent leur production (voire l’arrêtent). À la clé, la pénurie de médicaments génériques pourtant indispensables. Loin d’être exceptionnelle, cette situation est tristement commune et semble se reproduire sans solution efficace.
Les conséquences des pénuries
Les pénuries de médicaments comportent évidemment des conséquences. Pour les patients comme pour les professionnels de santé.
Risques pour les patients chroniques
L’interruption de traitements essentiels peut entraîner une aggravation de l’état de santé. Dans des cas les plus graves et les plus sensibles, des hospitalisations évitables, voire une augmentation de la mortalité.
D’autre part, les pénuries soumettent les patients chroniques à un certain stress à chaque fois qu’ils se rendent en pharmacie pour récupérer leur prescription. Auront-ils ce dont ils ont besoin en sortant ?
Une surcharge pour les professionnels de santé
Les médecins, mais surtout les pharmaciens qui sont en première ligne, doivent consacrer un temps considérable à la recherche d’alternatives thérapeutiques. Mais aussi à la gestion des stocks, particulièrement pour les médicaments les plus essentiels et sensibles, et à l’information des patients. De quoi rendre les métiers du soin sous tension.
De timides mesures des pouvoirs publics
Les pouvoirs publics ne semblent pas très alertes sur le sujet de ces pénuries. La feuille de route 2024-2027 reste timorée et le cas Opella est symptomatique de l’impuissance étatique.
Une feuille de route de 2019 pour gérer les pénuries de médicaments
Une feuille de route a été publiée en 2019. Elle a aboutit aux mesures suivantes :
- l’obligation pour les industriels à constituer des stocks de sécurité de leurs produits pour le marché national,
- l’interdiction des exportations pour les grossistes-répartiteurs,
- la possibilité pour les pharmaciens d’exécuter des préparations magistrales,
- la mise en place des accords prix-volumes pour sécuriser l’approvisionnement sur la molécule amoxicilline,
- la mise en place d’une charte de bonnes pratiques proposée par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) qui garantit au mieux une disponibilité équitable des médicaments sur tout le territoire,
- l’information régulière aux prescripteurs sur l’état des tensions.
La feuille de route 2024-2027 pour éviter les pénuries de médicaments
Le gouvernement a présenté une nouvelle stratégie basée sur les quatre axes suivants :
- Détection du signal et plan d’actions gradué pour améliorer la disponibilité des médicaments
- Nouvelles actions de santé publique pour améliorer la disponibilité des médicaments
- Nouvelles actions économiques pour améliorer la disponibilité des médicaments
- Transparence de la chaîne d’approvisionnement : l’information jusqu’au patient
Rapatrier la production de médicaments : un pas en avant, deux pas en arrière
Les pouvoirs publics ont conscience de la nécessité de rapatrier la production de médicaments essentiels en Europe. Néanmoins, le cas récent du rachat partiel d’Opella par un fonds américain interroge sur la capacité des pouvoirs publics à ne serait-ce que conserver le tissu existant.
Le fonds américain Clayton, Dubilier & Rice (CD&R) détient ainsi 50% des parts d’Opella, la filiale de Sanofi qui produit notamment le Doliprane ©. De quoi la faire passer sous pavillon américain ? Sanofi n’avait pas fait mystère de son intention de céder cette filiale insuffisamment rentable.
Une plateforme d’information en temps réel pour gérer les pénuries de médicaments
L’ANSM a mis en place une page web dédiée pour informer en temps réel sur les tensions d’approvisionnement des médicaments. De quoi offrir une source d’information officielle aux professionnels et aux patients. Si l’on peut saluer cette initiative de transparence, cela ne rapatriera pas la production de molécules ni ne renforcera la souveraineté française en termes médicaux.