Cocorico ! « On l’a fait », s’exclame-t-on à la Mairie de Paris ! Ah, la Seine, ce magnifique décor dont la couleur tend d’ordinaire vers le kaki, s’est métamorphosée juste à temps pour l’épreuve des Jeux Olympiques qui a eu lieu ce 31 juillet. Après les dizaines de péniches et d’autres plus ou moins frêles embarcations naviguant lors de cette cérémonie d’ouverture qui aura fait coulé beaucoup d’encre, ce sont les triathlètes féminines qui ont pris place pour s’élancer dans l’eau.
La Seine, ce ruban argenté qui traverse Paris, depuis longtemps promis à une transformation au moins aussi importante que celle de Cendrillon… Transformation qui coûte au contribuable pas moins de 1,4 milliard d’euros pour rendre la Seine baignable pour les Jeux Olympiques de 2024, rendez-vous compte ! Pendant ce temps, à Mayotte, la transformation de l’eau en eau potable n’est pas encore au rendez-vous.
Peut-être eût-il fallu que ces territoires accueillent les Jeux Olympiques pour rendre là-bas possible l’impossible. Mais ne nous attardons pas sur ces détails nous direz vous ? La Seine et ses surmulots ne sont-ils pas bien plus photogéniques pour les selfies des athlètes ? Et tout le monde aime les animaux.
Cocorico : impossible n’est pas français !
Les efforts pour nettoyer la Seine ont été titanesques. Des défis technologiques et écologiques surmontés avec brio, mais surtout une arlésienne battue en brèche. Si l’exploit mérite clairement que l’on s’y arrête, il ne faudrait néanmoins pas oublier l’ironie de la situation.
Nous avons dépensé littéralement des millions pour une occasion, alors même que l’eau courante fait défaut dans nos propres territoires ultramarins, y compris dans le dernier département de France. En effet, celui qui est le dernier dans l’ordre numérique est tristement dernier en matière d’accès à l’eau potable.
Et Mayotte ?
Mayotte est souvent associée aux vacances avec ses paysages de plages paradisiaques comme autant de cartes postales. Mais le dernier département français révèle une réalité moins reluisante. L’accès à l’eau potable y est une préoccupation tristement quotidienne.
Osons comparer l’incomparable. Osons comparer l’eau nécessaire à la vie dans ces territoires. Osons la comparer à l’eau pour le loisir.
Si rendre la Seine baignable est possible, pourquoi diantre l’eau potable à Mayotte serait un casse-tête insoluble ? Si les pouvoirs publics ont réussi à faire rendre gorge à toutes les Cassandre, pourquoi Mayotte serait privée de l’eau, denrée si nécessaire à la vie ?
Rendre la Seine baignable, triomphe du paraître sur le vital?
Les priorités de financement semblent parfois suivre une logique à rebours de toute forme de logique. Des choix budgétaires qui favorisent le paraître au travers de l’éclat et du spectacle, au détriment de l’essentiel.
On applaudit la Seine baignable, mais on oublie trop souvent les projets certes moins glamour, mais vitaux au moins autant qu’ils sont triviaux comme l’accès à l’eau potable. Comme l’avait dit Jacques Chirac : Notre maison brûle, mais nous regardons ailleurs…
Avoir rendu la Seine baignable pour les JO de Paris est donc une victoire bien ironique. Une sorte de victoire à la française, soulignant les paradoxes de nos choix collectifs et nous interpellant sur nos véritables besoins.
Sans doute à notre tour devrions-nous plonger en eaux profondes avant de nous écrier Cocorico. Celles de la réflexion, pour réévaluer nos priorités, pour que l’eau potable ne soit plus un luxe, mais accessible à tous. Et qu’aussi naturellement que la Seine coule sous les ponts de Paris, on puisse boire à Mayotte.