Découvrez notre guide sur la théorie de l’agence, développée par Michael C. Jensen et William H. Meckling dans les années 1970 et publiée dans le Journal of Financial Economics (Theory of the firm).
Celle-ci analyse le rapport entre le dirigeant et l’actionnaire comme étant une relation d’agence où les intérêts de l’un ne sont pas forcément ceux de l’autre. Vous allez lire tout ce qu’il faut savoir sur cette théorisation : définition, applications, conséquences, limites, alternatives.
Sur quoi repose la théorie de l’agence ?
Définition
La théorie de l’agence fait référence à la modélisation de la relation qui se crée lorsqu’un principal recrute un agent afin d’exécuter une tâche en son nom : il délègue sa décision, ce qui déséquilibre d’emblée la relation qui les unie.
Qui a développé la théorie de l’agence ?
C’est la collaboration entre 2 économistes et chercheurs américains en finance d’entreprise, à savoir Michael C. Jensen et William H. Meckling, qui est à l’origine de cette théorie, également appelée dilemme de l’agence. On retrouve leurs travaux dans l’article Theory of the firm : managerial behavior, agency costs and ownership structure du Journal of Financial Economics.
Cependant, bien avant que la théorie soit modélisée au XXe siècle dans l’article Theory of the firm publié au Journal of Financial Economics, des observations existaient déjà sur cette divergence.
En 1776, Adam Smith, un économiste écossais, avait noté dans l’ouvrage Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations, une référence à la relation entre un principal et son agent :
« Les directeurs de ces sortes de compagnies (les sociétés par actions) étant les régisseurs de l’argent d’autrui plutôt que de leur propre argent, on ne peut guère s’attendre à ce qu’ils y apportent cette vigilance exacte et soucieuse que des associés apportent souvent dans le maniement de leurs fonds ».
Adam Smith, Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations
Une théorisation fondée sur l’opposition
Ce dilemme trouve son origine dans l’opposition qui existe entre 2 entités :
- Le principal est celui qui détient les moyens de production
- L’agent exploite les moyens de production mis à sa disposition par le mandataire afin d’atteindre les objectifs fixés par ce dernier
Bien qu’il existe un consentement mutuel entre ces 2 individus, il existe forcément un conflit entre leurs intérêts :
- Le principal recrute l’agent afin d’atteindre un objectif : pour y parvenir, il est dans l’obligation de mettre à sa disposition toute l’information dont il dispose ;
- L’agent, ne veut pas uniquement atteindre l’objectif qui lui a été fixé, mais également en tirer des bénéfices
Le déséquilibre est bien présent, car le mandaté, en plus de posséder des compétences que le mandataire n’a pas, a un véritable pouvoir de décision.
Mieux comprendre la relation d’agence
Définition
Selon Jensen et Meckling, elle apparaît :
Lorsqu’une personne (le principal) a recours aux services d’une autre personne (l’agent) en vue d’accomplir en son nom une tâche quelconque entraînant une délégation de décision.
Elle peut désigner notamment la relation entre les mandants (dirigeant) et les mandataires (actionnaire). Elle peut aussi trouver une application entre un particulier et son conseiller financier.
Exemple et applications
Cette relation se retrouve dans de nombreux pans de la société :
- Employeur – Salarié
- Actionnaire – Gestionnaire
- Assuré – Assureur
- Épargnant – Banquier
- Franchiseur – Franchisé
Elle existe même dans les secteurs de la santé et de la politique :
- Le système de santé repose sur un malade qui consulte un médecin : ici, le principal détient les informations nécessaires à son suivi médical, mais ne possède pas de savoir médical, contrairement à l’agent qui détient les connaissances et conserve le contrôle de la procédure de soin.
- La politique fonctionne également sur une modélisation identique : le citoyen vote pour son représentant, mais in fine, c’est le représentant élu qui dispose du pouvoir de décision.
Les conséquences
Toute délégation repose sur le fait qu’il est plus facile ou approprié que ce soit le mandaté qui agisse plutôt que le mandant. Le mandaté peut avoir par exemple davantage de compétences ou plus généralement d’aptitudes. Toutefois, la relation d’agence met en évidence une opposition des intérêts entre mandaté et mandant. Dans le cas du groupe des actionnaires confronté au groupe des dirigeants d’une société :
- L’actionnaire a pour but de maximiser les bénéfices de la société afin d’obtenir des dividendes plus importants ;
- Les dirigeants souhaitent bénéficier du maximum de rémunération et d’avantages divers.
Cela entraîne un conflit d’intérêts entre les actionnaires et les dirigeants. Les deux intérêts sont divergents et non pas convergents. Tout l’objectif de la théorisation est de parvenir à retrouver cette convergence.
Mais les différents acteurs sont confrontés à plusieurs problématiques.
Quelles sont les limites de la théorie de l’agence ?
L’information dont disposent le principal et l’agent n’est pas au même niveau. C’est même parfois voulu. C’est-à-dire que le mandataire arrive à avoir davantage d’informations que le mandaté. Les économistes libéraux basaient leur théorie de la « concurrence pure et parfaite » notamment sur l’information parfaitement répandue et connue. Or, pour être en position de force et de contrôle, le mandaté va vouloir conserver pour lui le pouvoir décisionnel qu’il peut tirer de ses informations. De l’autre côté, le principal va pousser l’agent à accomplir son mandat en lui partageant l’information dans sa totalité. En finance d’entreprise, les problèmes posés peuvent se retrouver dans ceux de la relation entre la valeur et l’information.
Problème n°1 : le risque comportemental
Il s’agit de l’aléa moral.
L’aléa moral se produit lorsque l’asymétrie de l’information permet à l’agent de l’utiliser à ses propres fins. Comme il ne partage pas ses informations avec le principal, ce dernier ne peut pas constater l’abus. L’agent bénéficie d’une rente informationnelle. En effet, il détient pour lui-même de façon exclusive l’information qu’il ne partage pas. Il peut en abuser en sa faveur.
Exemple : le propriétaire et son exploitant
Prenons l’exemple d’un exploitant et d’un propriétaire. On suppose les hypothèses suivantes :
- Le principal ne peut pas évaluer directement le travail de son agent ;
- Aucune considération éthique (réputation, perspectives d’avenir, conscience professionnelle) n’est prise en compte ;
- Seuls comptent les revenus de l’un et de l’autre en la matière.
Trois types de contrats sont possibles pour le propriétaire qui peut imposer sa décision :
- Salariat :
- Il fournit les moyens de production (matériels, parcelle…) et en supporte le coût ;
- Il garde la récolte ;
- Il verse à l’exploitant un salaire, c’est-à-dire une somme fixée ex ante (par avance).
- Métayage (c’est le système de l’association) :
- Chacun verse une partie des frais ;
- Chacun reçoit une partie de la récolte.
- Le fermage :
- L’exploitant supporte tous les risques et l’ensemble des frais ;
- Il conserve la récolte ;
- L’exploitant verse un loyer, c’est-à-dire là encore une somme fixée ex ante.
Ici, trois angles sont à prendre en considération :
- L’optimisation globale de l’exploitation (la récolte)
- Le rapport entre ce profit et le revenu de l’exploitant déterminant les efforts de l’exploitant ;
- Le même rapport pour le propriétaire selon les efforts fournis par l’exploitant.
Quelle solution est à privilégier pour le propriétaire ?
Le salariat n’est en aucun cas à privilégier. En effet, l’exploitant n’aurait aucun intérêt à fournir des efforts conséquents étant donné que son revenu a déjà été fixé. La production tend vers zéro. Le propriétaire réalise donc une perte égale au salaire versé.
Le métayage est une situation intermédiaire dans la mesure où les buts des deux parties en présence sont alignés. Plus l’exploitant fournit d’efforts, plus celui-ci recevra et le propriétaire avec lui. De plus, si les rendements sont décroissants, arrive un moment où un effort de +1 du métayer provoque une augmentation du profit inférieure à +2 (réduction du profit global et donc de celui du propriétaire également), et donc une augmentation du revenu du métayer inférieure à 1. L’aspect positif est que le propriétaire n’a besoin d’aucune information ex ante.
La meilleure solution pour la rentabilité de l’exploitation est celle du fermage, car l’exploitant est le créancier résiduel de la récolte. Une fois le loyer versé, le reste de la récolte est pour lui. Cela l’incitera à fournir l’effort qui maximise le produit de la terre. Le profit global est donc supérieur à celui du métayage. Le point important pour le propriétaire est de réussir à connaître le niveau du loyer et il aurait pour cela besoin d’informations ex ante : niveau de récolte, tarif, frais d’exploitation… Sans ces informations, Il ne peut qu’imaginer que le tarif du loyer serait supérieur au rendement du métayage. Mais cela ne l’avancera pas vraiment, à moins qu’il ne connaisse le prix de marché du métayage, et encore.
Problème n°2 : l’antisélection
Guy Brousseau définit l’antisélection (adverse selection) comme suit :
Il s’agit en fait de la défiance généralisée qui naît dès lors qu’il n’existe pas un catalogue connu de tous et spécifiant les caractéristiques de tous les biens échangés ou susceptibles de l’être. Les connaissances sur la “qualité” des biens sont alors asymétriquement réparties.
Guy Brousseau (1993)
L’antisélection désigne la situation dans laquelle le principal n’a pas connaissance d’une caractéristique de l’agent qui pourrait avoir un impact sur l’issue de l’accord entre les 2 parties.
Prenons un exemple dans le domaine de l’assurance. L’assureur propose un contrat d’assurance complémentaire et facultatif dont il fixe le prix en avance. Il ne peut en effet pas a priori savoir si le souscripteur est un « bon » ou un « mauvais » conducteur. Du côté du client, la souscription du contrat sera d’autant plus intéressante qu’il est mauvais conducteur. En effet, ses indemnisations pourraient être supérieures au tarif qu’il souscrit.
Dans la population de tous les conducteurs, le danger pour l’assureur est qu’il assure les mauvais conducteurs et peu les bons. D’autant plus que ces derniers pourraient refuser de souscrire ce complément d’assurance facultatif dans la mesure où ils se connaissent bons conducteurs. L’assureur peut de se retrouver dans la situation dans laquelle seuls les mauvais conducteurs dont l’assureur ne voudrait pas vont souscrire (car ils vont lui coûter plus qu’ils ne vont lui rapporter) et pas les bons (alors que ces derniers lui coûteraient moins cher qu’ils ne lui rapporteront).
Problème n°3 : le problème de signal
Le problème de signal (signalling) correspond au revers de la médaille des deux problèmes précédents. Le mandaté est en possession d’une information privée qu’il souhaiterait communiquer au mandataire, mais ce dernier n’est pas en mesure de la vérifier. Le problème de signal est que le mandaté réellement détenteur de la caractéristique recherchée par le mandataire ne peut être distingué de celui qui ne l’a pas ou moins et qui dirait qu’il l’a (car le mandataire ne pourra vérifier ses dires).
Prenons un exemple dans le domaine du recrutement. Les recruteurs vont rechercher la personne la plus motivée pour avoir le poste, mais ils ne peuvent faire la différence entre une vraie motivation et une motivation de circonstance. Le candidat le plus motivé qui devrait être embauché par le recruteur est face à un problème de signal. Il ne connaît que sa propre motivation et est incapable de mesurer celle des autres.
Que sont les coûts d’agence ?
Lorsqu’une relation implique des risques liés à l’asymétrie de l’information, à l’aléa moral ou encore à l’antisélection, il ne faut pas non plus négliger les coûts qui en résultent.
Ces frais d’agence peuvent être :
- Des frais nécessaires pour surveiller le mandaté : par exemple, la mise en place d’un conseil d’administration dont la mission est de vérifier que l’intérêt des actionnaires est respecté ;
- Des coûts d’obligation pour le mandaté ;
- Des coûts d’opportunité pour le mandataire.
Tout ce qui peut permettre d’aligner les intérêts des 2 parties engendre des coûts et il convient donc d’en tenir compte pour contenter les 2 côtés.
Quelle alternative à cette théorie ?
Bien que le modèle théorisé par Jensen et Meckling soit dominant, des alternatives existent et se révèlent plus appropriées pour certains modes de gouvernance. Ainsi, alors qu’il reste pertinent dans un contexte de gouvernance individualiste comme en France, il vaut mieux appliquer le modèle de l’intendance (stewardship theory) dans les systèmes plus communautaires comme à Taiwan.
Aller plus loin sur la théorie de l’agence
Ce dilemme est incontournable en économie, car il permet d’analyser les conséquences de la divergence d’intérêts qui peuvent exister entre 2 entités. Lorsque les conditions d’information sont imparfaites (on parle donc d’asymétrie), il est indispensable de tenir compte de cette modélisation, car elle a forcément un impact sur les résultats obtenus, notamment en entreprise.
Dans le secteur de la finance d’entreprise, cette théorisation possède une importance capitale. En effet, alors que les actionnaires ont pour objectif de rentabiliser leur capital, les dirigeants peuvent en tirer des bénéfices au détriment des mandants : il s’agit ici d’un comportement opportuniste qui s’explique notamment par le manque de transparence, ce qui a un impact sur le pouvoir et le contrôle.
Bien que la théorie de l’agence possède des limites dont il faut tenir compte, ses enseignements peuvent permettre de réduire le risque tout en limitant au minimum les coûts.
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