La théorie des organisationsL'approche sociopolitique de l'organisationL'entreprise : une "coalition politique" selon Cyert & March

L’entreprise : une « coalition politique » selon Cyert & March

James G. March et Richard M. Cyert sont les sociologues auteurs du livre Une théorie comportementale de l’entreprise (A Behavioral Theory of the Firm). Ils introduisent l’idée de politique dans l’entreprise et réalisent des analyses comportementales axées sur la stratégie d’influence des uns et des autres. Cyert & March y évoquent la présence au sein de l’entreprise du compromis, du marchandage, du conflit pouvant exister entre les salariés. Ils remettent en cause la rationalité classique. En effet, la hiérarchie ne prend pas la décision d’en haut. La communication mise en place par les intermédiaires (cadre, manager, exécutant) regroupés en coalition politique influence la décision. L’entreprise est un lieu où les uns exercent leur influence sur les autres. En effet, chacun cherche à amadouer l’autre pour satisfaire ses propres intérêts.

L’entreprise : Une « coalition politique » ?

Le discours de Cyert & March se base sur la contestation de l’approche classique de Weber et de Fayol en remettant en cause l’affirmation suivante: La performance d’une organisation suppose que ses membres soient unis autour d’objectifs supérieurs. Selon eux, l’entreprise optimise sa performance dès lors qu’elle rationalise ses méthodes de décision. Cyert & March proposent une théorie comportementale de l’entreprise (mouvement comportementaliste). Ils montrent que l’organisation n’est pas un ensemble cohérent et stable, mais qu’elle est un système dynamique. Ce système dynamique est en effet un lieu d’entente, mais aussi de complicité politique et de compromis, de négociations. L’entreprise est une « coalition politique« . Cette approche va mettre en avant les points suivants :

Coalition politique : des participants différenciés

Des groupes d’acteurs au sein de l’entreprise

Il existe, au sein de l’entreprise, des groupes d’acteurs ayant leurs propres intérêts, différents de ceux de l’entreprise. Ces intérêts propres sont aussi nombreux qu’il existe d’intérêts différents. On trouve par exemple le groupe des gestionnaires, des commerciaux, des manutentionnaires, du personnel de production, etc. Ces groupes n’ont pas les mêmes intérêts, n’ont pas les mêmes contraintes, n’ont pas les mêmes objectifs, n’ont pas les mêmes horaires, etc.

Compte tenu de ces différences, il peut se mettre en place au sein de l’entreprise des stratégies. Ces stratégies auront alors pour but de satisfaire les intérêts d’un groupe et de défendre un ou des groupes en cas de rivalités entre groupes. En effet, les participants sont différenciés à l’intérieur et à l’extérieur de la structure.

Des groupes d’acteurs en-dehors de l’entreprise

À l’extérieur de l’entreprise, il y a des clients, des actionnaires, des fournisseurs, des structures financières (banque, assurance, etc), l’opinion publique, des collectivités territoriales (État inclus), etc. Les priorités des clients sont le prix, le choix et la qualité. Le système financier réclame des remboursements sans défaillance avec des intérêts (prix de la monnaie, le plus élevé possible). Les fournisseurs veulent des commandes régulières pour conserver l’entreprise comme client (relation pérenne) et recevoir leur règlement au moment voulu.

Les décisions supérieures sont presque inutiles selon March et Cyert. Il y a toujours un décalage entre ce que les dirigeants souhaitent et la cohésion d’ensemble car les acteurs sont différents. Chaque individu dans l’entreprise a des objectifs, mais la collectivité n’en a pas. Seuls les individus ont des objectifs : pas l’ensemble des acteurs. Il n’y a donc pas de réel objectif commun si ce n’est celui de la « coalition politique » formée par les parties prenantes de l’entreprise.

Des objectifs liés aux ressources des coalitions

Au sein des groupes existent des sous-groupes. Si l’on prend l’exemple des actionnaires, il y a ceux qui recherchent la plus-value à court terme, la plus-value au long terme, la pérennité, le prestige, le pouvoir… Dans ce groupe des actionnaires, il peut y avoir des actionnaires institutionnels (État, Caisses de retraite, etc). Ces actionnaires institutionnels sont des institutions publiques ou privées. Elles recherchent davantage l’exercice du contrôle de l’entreprise et le dividende. Les actionnaires peuvent alors se regrouper en sous-coalitions afin de mieux protéger leurs intérêts.

Les sous coalitions classent les acteurs en sous-groupes. Il peut y avoir différents critères: un groupe peut se démultiplier. Par exemple, le groupe des salariés peut se diviser par âge, par sexe, par poste, etc.

Il convient de distinguer les objectifs des ressources. L’objectif des actionnaires est de valoriser le capital qu’ils ont investi. Les ressources des actionnaires sont la rétribution issue de leur contribution. Le salarié attend une rétribution monétaire et une rétribution non monétaire (conditions de travail, avantages en nature, etc) pour satisfaire ses besoins. Il apporte des compétences et des savoirs faire (ce sont ses ressources). Son objectif est de faire que sa rémunération soit juste (et maximale) et équitable en fonction de son apport. La décision supérieure devra tenir compte de la relation entre contributions, ressources et objectifs. Elle se base sur la négociation.

L’organisation : Un système où s’affrontent des coalitions politiques

Selon Robert Dahl, le pouvoir consiste en la capacité d’une personne A à obtenir qu’une personne B fasse quelque chose qu’elle n’aurait pas fait sans l’intervention de A. Selon Cyert & March, si l’on élargit la définition à un niveau collectif, on est obligé d’inclure une dimension sociopolitique dans cette définition. Le pouvoir conduit à des choix organisationnels qui ne sont pas d’une rationalité objective et absolue, mais qui sont issus de jeux d’influence exercés sur les uns et les autres. On ne parle plus de rationalité objective, mais d’influence subjective. Les interactions entre les individus vont provoquer leur détachement de la décision « supérieure » et de toute rationalité. Le dirigeant ne peut donc pas imposer ses décisions. Il doit tenir compte des problèmes internes. L’organisation est une coalition politique, un lieu de marchandage.